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Akiko Ishigaki : renouer avec la nature au Japon

Japon | Artisanat & territoire

À Iriomote, l’île la plus sauvage de l’archipel d’Okinawa au Japon, la jungle s’étend jusqu’aux rivières. Les racines plongent dans une eau mêlée de sel et de limon. La mangrove respire au rythme des marées, et le temps ne se mesure pas en heures, mais en saisons. C’est dans ce paysage dense et vivant qu’Akiko Ishigaki travaille.

Dans son atelier ouvert sur la forêt, les gestes sont précis, répétés, patients. La fibre passe entre les doigts, la couleur s’imprègne lentement. Rien n’est accéléré. Le textile naît ici d’un dialogue silencieux avec la terre, l’eau et les plantes. À Iriomote, le travail d’Akiko n’est pas une activité isolée : il est une manière d’habiter le monde.

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Akiko Ishigaki : renouer avec la nature au Japon
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Choisir l’insularité

Akiko Ishigaki est née en 1938 sur l’île de Taketomi, dans l’archipel de Yaeyama à Okinawa. Une enfance insulaire, marquée par la proximité de la mer et par des savoirs transmis sans discours, par l’observation et la répétition. Elle part ensuite étudier la mode à Tokyo, puis se forme à la teinture traditionnelle à Kyoto. Elle connaît le Japon urbain, central, moderne.

Mais c’est loin des centres qu’elle choisit de s’ancrer. Avec son mari, elle s’installe à Iriomote, une île restée en grande partie intacte. En 1980, elle y fonde l’atelier Kōru Kōbō. Un lieu façonné par le climat, les pluies, la lumière changeante.

Si Akiko voyage aujourd’hui peu, ses étoffes, elles, parcourent le monde. Tokyo, Milan, New York. Ses créations dialoguent avec la haute couture et le design contemporain, tout en restant profondément enracinées dans un territoire insulaire. Un lien rare entre modernité et savoir-faire séculaire, entre création contemporaine et temps long.

Akiko Ishigaki : renouer avec la nature au Japon
Akiko Ishigaki : renouer avec la nature au Japon
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Le bashōfu, une matière qui pousse

Au cœur de son travail : le bashōfu, un textile traditionnel réalisé à partir de fibres de bananier. Ici, le bananier n’est pas une ressource abstraite. Il pousse autour de l’atelier, dans les sols humides, sous un soleil filtré par la canopée.

Chaque étape est manuelle. La fibre est extraite, préparée, filée avec patience. Les teintures proviennent de plantes locales, cultivées ou récoltées sur l’île. Rien n’est standardisé. La couleur dépend du moment, de l’eau, du climat, de la plante elle-même.

Avant de prélever les matières premières, un rituel simple est observé. On ne prend pas tout. On demande la permission. Le lien à la terre n’est pas symbolique : il est vécu. Le paysage devient un partenaire, jamais une ressource à exploiter.

Pour fixer les pigments, Akiko Ishigaki utilise les eaux saumâtres des mangroves, là où l’eau douce des rivières rencontre la mer. Ce mélange subtil devient un allié. La nature n’est pas un décor : elle participe pleinement au processus.

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Akiko Ishigaki : renouer avec la nature au Japon

Iriomote, co-créatrice silencieuse

À Iriomote, le milieu impose son rythme. Les pluies peuvent retarder une teinture. La chaleur transforme une fibre. Le soleil agit différemment selon les saisons. Akiko Ishigaki connaît intimement ces variations : combien de temps laisser une étoffe au soleil, quand la retirer, comment la lumière influencera la couleur.

Les teintes obtenues possèdent une profondeur singulière. On y retrouve la densité de la mer, l’énergie des plantes, la force du sol. Le jaune évoque la grandeur, le rouge la vitalité, l’indigo une forme de sérénité. Les couleurs ne sont pas décoratives : elles portent une charge vivante.

Dans ce contexte, le textile ne peut être produit à la chaîne. Il est le résultat d’une adaptation constante. Le geste répond au territoire, et le territoire façonne le geste.

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Un artisanat durable

Les textiles d’Akiko Ishigaki ne sont pas conçus pour être exposés, mais pour être portés, transmis, vécus. Leur beauté réside dans leur usage et dans leur capacité à traverser le temps.

Dans sa famille, elle est la troisième génération de tisserandes. Un kimono confectionné par sa grand-mère à la fin du XIXᵉ siècle est encore conservé. Plus d’un siècle plus tard, la fibre n’a pas bougé. La qualité demeure. Une preuve silencieuse de la valeur du temps long.

Pour réaliser un seul kimono, il faut parfois près de cent bananiers, si l’on ne prélève que les meilleures fibres. De la croissance des plantes jusqu’à la teinture, au tissage puis à la confection, chaque étape demande patience et attention. Cette conscience du processus transforme le regard porté sur l’objet final - et invite à une autre relation à la nature et à la mode.

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Faire renaître un savoir presque disparu

Lorsque Akiko Ishigaki commence à travailler le bashōfu, la culture du bananier textile et le savoir-faire associé sont en voie de disparition sur l’île. Son travail contribue à leur renaissance, sans jamais les figer. Les techniques anciennes sont réactivées, adaptées, intégrées à une création contemporaine.

Dans les années 1990, une collaboration avec Issey Miyake apporte une reconnaissance internationale. Ses œuvres entrent dans des collections et des musées. Elle reçoit plusieurs distinctions. Pourtant, à Iriomote, rien ne change fondamentalement. L’atelier reste ancré dans son environnement. Les processus demeurent lents. La logique industrielle ne s’impose pas.

Aujourd'hui dans son atelier, Akiko accueille des étudiants. Ils observent, participent, apprennent par le geste. L’inspiration, explique l’une de ses proches collaboratrices, naît plus intensément lorsque l’on a pris part à chaque étape de la création de la matière, plutôt que de travailler à partir d’un textile déjà fabriqué. Ici, la transmission est vivante, incarnée.

Préparations des tissus pour kimono artisanat à Okinawa
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Pour aller plus loin

Le travail d’Akiko Ishigaki est au cœur du film Au fil du monde – Japon, réalisé par Jill Coulon et Isabelle Dupuy Chavanat. Le documentaire suit le geste au plus près, la relation à la matière, et montre comment le territoire d’Iriomote devient un acteur à part entière du processus de création. Pour celles et ceux qui souhaitent découvrir le film dans son intégralité, il est possible de prendre contact directement avec la réalisatrice.

À travers le quotidien à Iriomote, le film révèle un Japon discret et patient, loin des images spectaculaires, où l’artisanat reste profondément lié aux rythmes naturels et à la transmission.

Cette approche résonne avec la manière dont nous concevons nos voyages au Japon : des voyages attentifs aux territoires, aux savoir-faire et aux rencontres.
Explorer le Japon par ses îles, ses artisans et ses gestes, c’est en saisir la profondeur - et en comprendre les équilibres.

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